iPhone 4 : le terminal vidéo idéal ?

Une fois de plus, l’iPhone a su se mettre au niveau de ses concurrents, en rattrapant son retard (pas mal), et en prenant de l’avance (un peu). Petit point d’étape sur ce que ce nouveau terminal nous apporte…

Avant tout : du génie marketing

Le champ de distortion de la réalité a frappé fort hier : l’essentiel des annonces sur ce nouvel iPhone étaient liées à un rattrapage sur les défauts subsistants sur la précédentes versions :

  • Il y a maintenant un capteur 5M pixels, et un Flash. C’est bien, mais c’est surtout une mise à niveau par rapport à ce que les concurrents proposent depuis un an
  • La résolution d’écran a été largement améliorée, pour atteindre un nouveau record ; on y reviendra
  • La caméra frontale (qui existe depuis longtemps chez de nombreux concurrents) fait son apparition. Mais là, tout est dans la façon dont la fonction est présentée
L'ancien et le nouveau (image issue de www.techcrunch.com)

Pour moi, la présentation de ce nouvel iPhone, et l’enthousiasme qui en découle, est vraiment une illustration parfaite d’un discours marketing incroyablement maîtrisé. Ceci n’a rien de péjoratif ; simplement, la force avec laquelle Steve réussit à persuader alors que cette mise à jour est surtout une séance de “rattrapage” amène une certaine admiration.

La recette numéro 1 de Steve (oui, je l’appelle par son prénom, comme tout le monde, on a conduit notre combi Volkswagen ensemble dans les 70’s !) est celle de l’analogie qui frappe. Imaginons la scène chez un constructeur standard.

  • Le gars du marketing : “Bon, alors, ce nouvel écran, ça donne quoi au final ?”
  • Le barbu de la tech : “Ben il est super plus précis, une résolution de 960×640 et une précision de 326PPI.
  • Le gars du marketing : “PPI ?”
  • Le barbu de la tech : “Ouais, le nombre de points qu’on affiche sur une largeur d’un pouce. Mais bon, le chiffre ne veut plus dire grand chose, de toute manière c’est plus que l’oeil ne peut en supporter”.
  • Le gars du marketing : “Mouais, PPI personne n’y comprend rien, en plus ça ne fait même pas un chiffre rond là. On va plutôt insister sur la résolution d’écran”.

Plan de com’ qui en résulte : “Un nouveau superbe écran, 960 par 640 points !

La même chose chez Apple :

  • Le gars du marketing (Steve, en fait…) : “Bon, alors, ce nouvel écran, ça donne quoi au final ?”
  • Le barbu de la tech : “Ben il est super plus précis, une résolution de 960×640 et une précision de 326PPI.
  • Steve : “PPI ?”
  • Le barbu de la tech : “Ouais, le nombre de points qu’on affiche sur une largeur d’un pouce. Mais bon, le chiffre ne veut plus dire grand chose, de toute manière c’est plus que l’oeil ne peut en supporter”.
  • Steve : “Plus que l’oeil ne peut en supporter ? Mais c’est génial ça ! C’est le premier écran plus fort que la rétine ! La machine qui dépasse les capacités de l’homme !”

Plan de com’ qui en résulte : “Retina Display, plus que vous ne pouvez voir“.

C’est tout bête, mais c’est la recette qu’utilise Steve Jobs depuis des années, et ça marche extrêmement bien : zapper toutes les données techniques, les chiffres, pour se concentrer sur un message qui ramène à une notion concrète de la vie réelle. Quelques exemples :

  • les premiers iPod : capacité en “nombre de chansons“, là où les concurrents demandaient au futur client de comprendre la différence entre mémoire Flash et disque dur.
  • iPad : batterie “capable de tenir pendant un vol Tokyo-Los Angeles à regarder des vidéos”
  • suite “iLife” : plutôt qu’une “suite applicative”, on parle de “sa vie numérique“.
  • etc…

C’est bien sûr très malin, puisque cela permet de lisser complètement l’effort qu’à a faire l’utilisateur au moment du choix de son futur gadget numérique (plus besoin d’assimiler de notions techniques), tout en lui donnant un discours “clé en main” qu’il utilisera lui même pour parler du produit à ses amis. Le seul truc vraiment étonnant en fait, c’est l’obstination qu’ont les concurrents à continuer à parler de la technique…

Même recette pour “FaceTime” : la notion de vidéoconférence existe depuis des années. A priori, difficile de survendre la notion, d’autant plus que l’iPhone devait être le dernier dinosaure à ne pas avoir cette fonction dans le panel des téléphones haut de gamme. Et pourtant…

Pour savoir si un téléphone peut faire de la visioconf, il faut vérifier la présence d’une “caméra frontale”. Vérifiez auprès de votre entourage non-geek : en employant ce terme, il y a pas mal de chance qu’ils pensent à une caméra collée sur le front plutôt qu’au fait de voir son correspondant ! Là, Steve ne parle même pas de viseur optique, encore moins de sa résolution (c’est du VGA, au fait…) : il montre directement une mise en situation, avec des personnages agissant dans des situations connues (le gars coincé dans son hôtel qui languit de sa famille, etc…).

Au passage, la vidéo “montre” le nouveau geste qu’il faudra avoir en public sans crainte du ridicule (puisque des pubs branchées le démocratisent) : tenir son téléphone à bout de bras et lui “parler”.

Résultat des courses : la discussion vidéo existe depuis des années, en tant que technicien je connais toutes ses limites et la galère que ça peut être, et pourtant, à l’issue de la keynote, je n’ai qu’une envie : dégoter un iPhone 4 (enfin… deux !) pour pouvoir faire de la visioconf.

Pour rentrer dans le détail, je crois qu’il faut vraiment distinguer le hardware, le fait que l’iPhone dispose maintenant d’une caméra frontale, de FaceTime, la “promesse” logicielle (et surtout marketing).

FaceTime : la visioconf’ “next gen”

Une fois l’excitation des effets d’annonce passée, les utilisateurs vont rapidement se heurter à la dure réalité : FaceTime est quasi inutilisable à court terme. Si je ressors les quelques restes de “proba/stats” que je peux avoir du lycée, ça donnerait ceci :

  • probabilité que mon interlocuteur dispose lui aussi d’un iPhone 4 dans les semaines à venir : disons 20% (c’est optimiste, j’ai un entourage geek et apple-ophile !)
  • probabilité que je sois sur un réseau WiFi en situation de mobilité au moment où je veux passer mon appel (rappelons que FaceTime ne fonction QUE en WiFi) : 20% (soyons optimiste, il y a de plus en plus de hotspots publics)
  • probabilité que mon interlocuteur soit lui aussi en WiFi : 15% (lui ne s’attend pas forcément à mon appel, donc il n’a pas forcément fait l’effort d’être sur une borne WiFi. Pourcentage un peu relevé par le fait qu’il peut être à la maison)

Je fais mes petits calculs : au final, j’ai 0,6% de chance que mon projet de faire une visioconf avec FaceTime aboutisse !

Et encore faut il que j’ai un besoin de visioconf ! Bah oui, on n’est pas tous les jours coincé dans un hôtel à languir de son petit dernier, ou à la guerre en Irak pendant que sa douce passe une échographie…

Vous allez me dire : “oui, mais tes calculs sont bidon, la visioconf, c’est plutôt lorque chacun est chez soi, et qu’on sait à l’avance qu’on va discuter de temps en temps en vidéo, pour une réunion de boulot par exemple”. Certes. Mais pour cette usage, je préfère iChat sur mon Mac, qui permet l’insertion de docs dans la discussion. Ou encore un iPad, qui est censé être mon device mobile préféré à la maison. Mince, l’iPad n’a pas (encore) de caméra !

Vision pessimiste ? Du tout ! Au delà de l’anticipation des déceptions à venir, mon propos est plutôt destiné à souligner ceci : FaceTime (et ses déclinaisons) est promis à mon sens à un bel avenir, parce qu’il mise sur de l’avant-gardisme : plutôt que de se lancer tête baissée dans une bataille perdue d’avance (les gars d’Apple en savent quelque chose avec iChat qui reste un gadget peu utilisé) contre les “leaders” que sont Skype et Windows Messenger, FaceTime prend le contrepied en disant : “voilà ce que doit être la vidéoconf dorénavant”. L’avenir défini par cette application, c’est :

  • quand les téléphones exploiteront le H264 pour de la visioconf. Ambitieux, mais judicieux (le H263 jusqu’ici souvent utilisé pour ce genre d’appli est d’une bien moins bonne qualité, amenant souvent une déception par rapport à ce qu’on attend d’une visioconf)
  • quand les réseaux seront prêts (pas grave que seul le WiFi soit utilisé. Ma peur était en fait qu’Apple se base sur un réseau 3G : avez vous déjà utilisé de la vidéoconf avec un téléphone 3G ? C’est incroyablement déceptif…). Donc, pour l’instant, c’est WiFi obligatoire. En attendant la 4G. Ou le WiMax, peu importe. Notez au passage que l’iPhone 4… n’est pas un téléphone 4G. Pas grave, ça fera vendre le prochain !
  • en jouant la carte de l’ouverture (protocoles connus et diffusés librement). Pas évident, mais ce joker était la carte à jouer lorsque, comme Apple, on part de zéro ou presque dans le domaine. Je suis le premier à être déçu qu’iChat ne soit pas (pour l’instant) compatible, mais que représente la part des utilisateurs d’iChat ? Rien ou presque. Mieux valait donc jouer la carte de protocoles connus et déjà exploités plutôt que forcer la main à utiliser un protocole propriétaire que personne n’utilise. N’en déplaise aux macophiles qui sont décidément bien bousculés ces derniers temps (mais ça fera vendre MacOS 10.7, qui incluera bien sûr un iChat compatible FaceTime).
  • en utilisant cette image d’ouverture pour forcer les autres acteurs à utiliser les mêmes technologies. C’est la même recette que HTML5 en fait : au départ, personne n’en faisait, mais, parce que la solution est “plus saine” déontologiquement parlant (et technologiquement crédible, quand même !) il vaut mieux l’utiliser, sans trop se poser de questions.
  • et donc…quand les devices utiliseront nombreux des protocoles capables d’interagir avec FaceTime. L’iPad en tête…quand il aura une caméra bien sûr (pas grave, ça fera, là aussi, vendre le prochain !).

Si l’on résume, Apple (re)crée un besoin là où il n’y en avait plus, en apportant une promesse, une technologie irréprochable face aux expériences passées qui avaient déçu l’utilisateur, au point de lui faire abandonner l’espoir d’utiliser de la visioconf.

Cette promesse va générer des ventes (je suis chaque fois surpris, même si je ne devrais plus, par mon entourage qui a une fois de plus réagi par des “ça est, cette fois, je franchis le pas, ce tel est trop bien!”), mais aussi très rapidement une frustration. Frustration qui sera soignée dans quelques mois… par Apple, avec l’iPad 2 et l’iPhone 5. La boucle est bouclée. Même en n’étant pas dupe, c’est très, très, très malin.

La caméra frontale : porte ouverte aux applications

Pour parler plus concrétement du court terme, la caméra frontale, qui était le dernier gros manque de l’iPhone, ouvre des perspectives excitantes :

  • déjà, les applications type Skype, qui vont en plus bénéficer des possibilités de multitâche d’iOS 4, ne tarderont pas à exploiter cette caméra. S’ils tentent de s’aventurer sur le terrain de la 3G, cela aménera une expérience très déceptive…mais qui ne desservira que l’image de Skype, pas celle d’Apple
  • les technologies de réalité augmentée vont exploiter à fond cette caméra. Les jeux vont prendre une autre dimension, plus immersive, de nouvelles interactions homme/machine vont pouvoir être inventée, etc… si “killer app” il y a pour l’iPhone 4, elle viendra de ce terrain là
  • détail qui n’en est pas un : pour les développeurs, le fait de se reposer sur un hardware stable et connu (il n’existe qu’un iPhone) est un atout face à un écosystème Android très hétérogène.

J’ai d’autres trucs à dire à propos de cette keynote, mais ça attendra un autre article… See you soon !