Sujet pas très drôle aujourd’hui, et pourtant nécessaire : en quoi le numérique, et Internet, peuvent nous être utile lorsqu’il s’agit de préparer ses derniers jours ? (et si possible, de le faire de la manière la plus anticipée possible).
Les derniers développements de l’affaire Vincent Lambert, qui s’est engluée pendant des années dans des rebondissements consternants, pose la question des dernières volontés, et des instructions à laisser dans des cas où l’on se retrouve en incapacité de communiquer.
Je ne vais pas chercher ici à discuter de l’éthique à avoir vis à vis des personnes gravement handicapées, ou en situation proche de la mort, mais plutôt réfléchir au rôle que peut avoir le numérique dans ces polémiques.
Dans le cas de Vincent Lambert, tout tourne autour d’une ambiguïté : souhaitait-il que l’on abrège sa vie en cas de situation de handicap total, comme il l’a subi pendant plus de 10 ans ? Oui, répond son épouse, mais sans preuve. Il s’agirait simplement d’un échange oral informel dans l’intimité du couple. Non, rétorquent ses parents, qui mettent en avant des valeurs religieuses pour préserver à tout prix la vie, quelque soit la situation du malade.
On pourrait se poser la question d’une telle trace sur un réseau social. Vincent Lambert a eu son accident avant d’avoir vraiment eu la possibilité d’avoir un compte Facebook ou Twitter. La situation aurait-elle été la même si l’on avait pu trouver trace d’un tweet déclarant clairement son souhait d’être euthanasié dans un tel cas ? Il ne s’agirait certes pas d’une preuve formelle, mais on peut imaginer qu’un tel élément aurait grandement facilité le travail des partisans de l’euthanasie de ce monsieur.
Mais un tweet, ou un post Facebook, ne peut pas jouer le rôle d’une instruction indiscutable : dans quelle contexte a t’il été rédigé ? L’individu n’a t’il pas pu changer d’avis entre temps ?
Jusqu’à présent, je croyais qu’il était nécessaire, pour déclarer de manière indiscutable ses dernières volontés, de faire une procédure administrative lourde et médicale ; pas nécessairement un testament (qu’on n’ouvre qu’après la mort), mais une déclaration auprès d’une autorité. C’est d’ailleurs ce qu’on documenté quelques médias récemment, via des formulaires que l’on peut déposer chez son médecin généraliste. https://www.sudouest.fr/2019/05/21/affaire-lambert-un-simple-formulaire-pour-qu-on-respecte-votre-volonte-en-fin–de-vie-6106792-10655.php
Mais, après quelques recherches, je me suis aperçu qu’il existait une procédure en ligne. Et, bonne surprise, elle est plutôt bien faite ! Le plus long (comme souvent avec des sites web de service public) est en fait de créer son compte sur le portail.
Et c’est bien plus efficace que la rédaction d’un document papier qui peut être ensuite perdu, y compris par votre médecin s’il part à la retraite par exemple. Ici, sauf à violer les procédures imposées, l’hôpital est dans l’obligation de consulter ce dossier pour recueillir les informations vous concernant.
Voici donc, si vous souhaitez déposer vos instructions de manière indiscutable, comment procéder. Cela ne prendra que quelques minutes.
Première étape : avoir une carte vitale (et être sous le régime général de sécurité sociale)
Le site web étant géré par l’Assurance Maladie, il est nécessaire pour pouvoir créer un compte d’avoir des informations de base chez eux : un numéro de sécurité sociale bien sûr, mais aussi une carte vitale valide. Je ne crois pas qu’il soit possible de rédiger un tel dossier si vous n’êtes pas dans ce “cas général”, mais on va peut-être me contredire (et ça serait une bonne nouvelle !).
Deuxième étape : créer un Dossier Médical Partagé
Cette initiative, qui existe de manière expérimentale depuis 2011, a été récemment généralisée à toute la France et modernisée. Il s’agit tout simplement d’un site web (https://www.dmp.fr), géré par l’état, sur lequel vous allez créer un compte. L’idée de départ est une sorte de coffre fort numérique dans lequel tous les documents liés à votre santé peuvent être déposés, soit par la sécu, soit par vos médecins et praticiens, soit directement par vous même.
Ce projet, serpent de mer du ministère de la santé, n’est pas un grand succès : il est peu connu, peu de médecins ont envie de jouer le jeu, et son intérêt n’est pas immédiatement perceptible. Par ailleurs, une majorité de patients sont réticents à ainsi publier en ligne leurs données médicales. Que se passerait-il en cas de problème de sécurité ?
Et pourtant, un tel portail peut s’avérer pertinent : lorsque l’on sait les difficultés qu’ont les médecins à se coordonner et à échanger efficacement des informations, on ne peut qu’encourager des démarches et outils allant dans ce sens.
La création en ligne d’un compte DMP passe par la génération d’un code de création. Ce code peut se générer directement sur le site via un numéro de sécu, mais il n’est pas possible de se connecter directement avec comme identifiant son numéro de sécurité sociale. J’imagine qu’il s’agit d’une sécurité supplémentaire.
Le compte ainsi créé est protégé par une validation par téléphone et email, protégeant à priori correctement son accès, à condition bien sûr d’avoir un numéro de téléphone et un email stable !
J’en profite pour renouveler un conseil de base : quelque soit votre activité sur Internet, ne jamais utiliser comme email principal une adresse délivrée par son fournisseur d’accès, style jean.martin@orange.fr, car vous prenez le risque de la perdre en changeant de fournisseur !.
(en théorie, les fournisseurs ont une certaine tolérance et continuent à donner accès aux mails après la fin de votre abonnement. Mais je ne sais pas vous, mais moi je ne veux certainement pas être dépendant d’une prestation commerciale à laquelle j’ai mis fin !).
A noter qu’un tel dossier n’est finalement protégé que par une authentification en ligne. On aurait pu espérer que la carte vitale serve de tiers de confiance pour une connexion sécurisée, mais ça n’est à priori pas possible, même avec un lecteur de cartes tel qu’en sont équipés les médecins. Néanmoins, avoir une double authentification systématique (mot de passe + mail ou SMS) est déjà une première étape louable.
Une fois le compte créé et la connexion faite, vous accédez à un portail relativement classique, permettant de déposer divers documents. Nous allons nous intéresser ici à la rubrique nommée “Déposer mes directives anticipées”. C’est par ce biais que nous allons pouvoir saisir ses volontés.
Troisième étape : rédiger ses directives
Le formulaire est ensuite des plus classiques : il faut commencer par déclarer si l’on est déjà atteint d’une maladie grave, ou non.
Les questions s’enchainent ensuite, à chaque fois avec une réponse sous la forme d’un texte libre : il est en effet important que de telles décisions soient clairement motivées, et pas simplement choisies en cochant une case (avec toutes les possibilités d’erreur que cela impliquerait) :
- une première question porte sur ses valeurs et convictions
- une deuxième permettant de décrire les situations dans lesquelles l’on accepte ou refuse un maintien artificiel en vie
- une troisième permet de lister plus précisément les actes médicaux que l’on accepte ou pas
- une dernière permet de se positionner sur l’état de sédation profonde qui est prévue par la loi pour accompagner la fin de vie (il n’est pas légal de procéder à une “vraie” euthanasie, on peut simplement, comme il était prévu de le faire pour Vincent Lambert, l’endormir profondément puis couper son alimentation pour qu’il meure “naturellement”, en réalité par manque de nourriture et de liquide)
Et c’est à peu près tout. Il existe également une procédure particulière dans le cas où l’on n’est plus en capacité de rédiger soi même ses directives.
On choisit enfin de déterminer qui aura accès au dossier (seulement son médecin traitant ? N’importe quel médecin ? Un interlocuteur de confiance ?). En donnant accès à n’importe quel médecin, on se garantit à priori de tout souci ou ambiguïté en cas d’accident ou de maladie grave, puisque n’importe quel hôpital a pour directive de se référer prioritairement à ce fichier.
Le document ainsi produit est un simple PDF, qui inclut vos décisions et les textes que vous aurez saisi. Ce document apparaît au milieu de vos autres documents de santé, et un bloc dans la page d’accueil vous permet de visualiser si ce document a été consulté par un tiers (médecin ou hôpital).
Je vous avoue que faire cette démarche n’est pas anodin à vivre, et rédiger des textes décrivant ses directives de fin de vie ne se fait pas sans une certaine boule au ventre. Mais, ne serait-ce qu’en ayant en tête la tragédie qu’a pu vivre Vincent Lambert et sa famille, il me semble qu’une telle démarche est importante à faire. Et permet, pour une fois, de voir la déclaration d’informations personnelles en ligne comme un vrai outil utile, et pas une source de polémique.