L’effectuation dans la pratique

Cet article est la suite d’un premier article qui vous présentait le principe d’effectuation. Si vous ne l’avez pas encore lu, je vous conseille de commencer par celui-ci.

Résumons : nous avons donc posé les bases de la philosophie même de l’effectuation : ne pas attendre que le projet parfait vous tombe entre les mains, mais tirer profit de ce que l’on a sous la main pour pouvoir explorer des terrains jusqu’aux plus inattendus…

Accueillir les surprises

Vous commencez à le comprendre, cette façon de fonctionner fait beaucoup pour agrandir l’étendue du possible, et faire en sorte que des choses surprenantes puissent survenir. De toute manière, soyons honnêtes, n’importe quel projet apporte son lot de surprises. La différence est qu’ici elles sont non seulement bienvenues, mais même attendues. De la même manière que les méthodes agiles font en sorte d’intégrer l’impondérable, on va travailler ici de manière empirique :

pourquoi se raconter la fable d’un projet qui se déroulera sans accroc, et baser sa conduite de projet sur cette pensée magique, alors qu’il est finalement bien plus logique et sain de conduire dès le premier jour son projet en anticipant que ça va être le bazar.

Mais, on l’a vu, l’effectuation va quelque part encore plus loin que le lean puisqu’il n’y a pas ici vraiment de projet initial, mais plutôt une exploration de l’étendue du possible. Et c’est pourquoi les surprises sont particulièrement bienvenues, car ce sont finalement elles qui vont impulser vos actions. Les théoriciens de l’effectuation résument cette étape clé par cet exemple : “si on vous donne des citrons, vendez de la limonade !”.

Une opportunité inattendue, un feedback client, un accident de parcours, n’importe quel élément peut nourrir cette sérendipité !

Le chaos ? Oui, mais organisé

Tout ce qui a été décrit précédemment peut faire peur : on part sans projet, la fleur au fusil, on se laisse guider par des feedbacks qui peuvent être des plus inattendus, difficile au premier abord d’imaginer quelque chose de cohérent, de solide en faisant cela.

Et pourtant… cherchons à comparer une démarche classique, et la démarche d’effectuation :

  • dans une démarche classique, on part d’un projet, qui quelque part s’apparente à une vision : on émet des hypothèses de succès à long terme, puis on jalonne les étapes permettant d’y parvenir
  • avec l’effectuation, on part du recensement des forces en présence, et on se met de manière intense à l’écoute de son environnement pour “prendre la vague” d’une opportunité
  • dans un projet classique, on passe beaucoup de temps et d’énergie à résoudre les problèmes permettant d’accéder à l’objectif final, en particulier lorsque le projet a été imaginé sans tenir compte de ce que vous avez déjà à disposition
  • avec l’effectuation, l’énergie passée l’est pour nourrir des partenariats et accrocher des opportunités plutôt qu’à résoudre des problèmes pour parvenir à un objectif
  • gros point positif d’un projet “classique” : partager une vision permet de fédérer une équipe, de la motiver dans un but commun
  • dans le cadre de l’effectuation, le flou peut décourager ou faire peur. Mais l’adrénaline d’exécuter rapidement une action relative à une opportunité est le vrai carburant d’une équipe ainsi formée

Pour être clair : l’effectuation n’est pas une façon de procéder adaptée à toutes les situations.

Pour des projets lourds, les conduites de projet classiques sont robustes et ont fait depuis longtemps leurs preuves. Pour des projets nécessitant de la souplesse et de l’adaptation, tout en ayant un objectif fixé à l’avance, les méthodes agiles et le lean s’avèrent redoutablement efficaces.

Je pense qu’il faut plutôt voir l’effectuation comme une autre voie possible, un outil supplémentaire que l’on peut dégainer lorsque les circonstances s’y prêtent.

  • avant tout, l’absence d’un projet fédérateur : ça ne doit pas être vécu comme un point rhédibitoire, puisque des voies existent
  • l’opportunité de ressources ou d’une équipe déjà sous la main mais sous-utilisés
  • la volonté de découvrir un nouveau marché, ou d’explorer un terrain vierge

Enfin, il faut avoir conscience que ces façons de faire peuvent faire peur ou décourager certains, et au contraire stimuler de manière très puissante d’autres : il est donc indispensable de jauger l’état d’esprit des forces en présence avant de se lancer dans de telles aventures.

En revanche, je ne peux que vous inviter à expérimenter l’effectuation, à l’occasion d’une période de creux, que ça soit à titre personnel (vacances, chômage…), ou professionnel (inter-contrat ou creux dans son coeur de métier).

Envie d’expérimenter ? Parlons en ! J’ai eu l’occasion de pas mal expérimenter, et d’accompagner des équipes dans des expériences d’effectuation. Rejoignez nous dans l’exploration de ce nouvel univers !