J’ai été pas mal frappé par un article de Jean-Michel Planche sur l’iPad, où il donnait comme argument en faveur du device d’Apple :
Très honnètement, au risque de faire vieux schnock, je suis très dubitatif avec les interfaces actuelles et les (mauvaises) habitudes des plus jeunes (pour ne pas dire plus) de nos concitoyens à faire tourner de multiples applications en tâche de fond et se « dérouter » au fil des différents raffraichissements vers twitter, facebook et consort.
Comme beaucoup, j’étais parmi ceux qui pestaient après l’absence de multitâches sur l’iPhone. Et pourtant, je ne peux finalement qu’acquiesser : le multitâche, ou plutôt le multifenêtrage, est un magnifique outil… qui peut se transformer en une énorme perte de temps.
Flashback sur un temps lointain, dans les années 80…avant le Mac. Lorsqu’on voulait taper un texte, on lançait Word ou autre depuis sa console MS-Dos, et puis…on travaillait. Pas d’autres fenêtres, pas de Facebook, de MSN pour vous lancer des kikoolol en plein milieu d’une réflexion intense.
Et puis… le Mac est arrivé, et avec lui les travaux de Xerox Labs. Parmi ces travaux, le constat suivant : lorsqu’on travaille sur un bureau, on a ses papiers, ses dossiers… mais aussi le téléphone, les collègues qui passent, les tiroirs avec d’autres dossiers, etc… D’où l’envie de reproduire cela sur l’écran d’un ordinateur. Avec des fenêtres, et des applications fonctionnant en simultané.
Pour être parfaitement honnête, le multitâche est devenu aujourd’hui un formidable moteur à perdre du temps, et tous les “coachs” en organisation vont orienter une bonne partie de leurs conseils sur le fait de parvenir à se focaliser sur une tâche en particulier : “ne regardez pas vos mails tous les quart d’heure” “arrêtez la messagerie instantanée”. etc…
Pour prendre la question dans l’autre sens, dans quel contexte (je ne parle pas des développeurs, qui ont des besoins bien spécifiques) avez vous besoin de plusieurs applications en simultané ? En ce moment même, pour rédiger cet article, j’ai effectivement besoin d’autres fenêtres dans mon navigateur pour faire quelques recherches, retrouver des liens… mais le système d’onglets au sein de mon unique navigateur suffit amplement. Lorsque vous travaillez sur un document “composite” (textes + tableaux + images…), l’expérience montre qu’il est bien plus efficace, la plupart du temps, de faire d’abord tous ses tableaux, puis ses textes, puis ses illustrations…plutôt que de jongler d’un support à l’autre.
L’apparition de traitements de texte “isolant” l’utilisateur est d’ailleurs très symptomatique de ce retour en arrière. Le mode plein écran de Pages, ou des outils tels que OmmWriter vont complètement en ce sens.
Bien sûr, des exceptions existent : beaucoup aiment travailler en musique, ou, comme moi, ont la radio allumée en permanence pour avoir une “compagnie” pendant la journée. Si l’on ne veut pas utiliser un périphérique séparé (on peut écouter la radio sur un appareil dédié à cet usage, et qui n’est pas connecté au net, si si !), pouvoir faire tourner une application en “tâche de fond” est effectivement bien pratique.
L’autre enseignement de l’iPhone, c’est que cette absence de multitâche simplifie énormément l’usage de l’outil. Essayez d’apprendre l’informatique à un utilisateur débutant : une bonne partie des difficultés viendront de la “compréhension” de ce qui se passe réellement dans l’ordinateur. Distinguer la notion d’application de celle de document. Passer d’une application à l’autre. Comprendre la “barre des tâches”, etc etc…
J’ai encore en mémoire une utilisatrice que j’avais dépanné il y a quelques années, parce que son ordinateur “ramait” : elle ouvrait une nouvelle instance de Word pour chacun de ses documents, et ne le fermait jamais. Résultat : la barre des tâches était encombrée à la fin de la journée par une cinquantaine de Word qui tournaient tous simultanément ! Cas extrême ? Peut-être, mais la plupart des hotliners ont des anecdotes similaires à raconter.
Suis je en train ici de justifier l’absence de multitâche sur l’iPad ? Oui, en grande partie, car je suis de plus en plus persuadé que ce “retour aux fondamentaux” va largement contribuer à l’adoption de l’outil par un très large public. Ce n’est pas pour rien qu’Apple impose des espaces de démonstration aux vendeurs : pour faire découvrir l’expérience utilisateur, et démontrer en quelques minutes qu’on a enfin là un outil accessible et simple.
Je ne suis pas dupe pour autant : l’absence de multitâche sur l’iPhone est une excuse bien pratique, pour prohiber quelques usages qui seraient en contradiction avec le modèle économique de l’outil. Par exemple, l’application Spotify a été acceptée par Apple sur l’iPhone pour une simple et bonne raison : contrairement à l’appli “iPod”, elle ne peut tourner en tâche de fond. Dès qu’on veut regarder ses mails ou un site, il faut interrompre la musique diffusée par Spotify. Rhédibitoire.
Alors, multitâche ou pas ? Se débarasser des pratiques “privatrices de liberté”, comme dirait Stallman, serait une bonne chose, et il paraîtrait que la prochaine génération d’iPhone va dans ce sens (même si, bon, les rumeurs, hein…). Mais l’iPhone et l’iPad nous apprennent au moins une chose : il va falloir compter avec les utilisateurs débutants, et forger des outils “for the rest of us”. Et si j’en crois les geeks acharnés qui adorent “quand même” leur iPhone, ce n’est finalement pas plus mal !